Aujourd’hui parlons d’autisme. Nous sommes de plus en plus d’adultes autistes à nous exprimer sur le sujet, mais nous n’avons pas autant de visibilité ou de moyens que les associations de parents, ou même les parents en général. Résultat ? NOS vécus de personnes autistes sont racontés par d’autres. Cela devient alarmant quand certains parents et associations propagent des idées et des méthodes potentiellement dangereuses, sans que nous puissions nuancer les propos sur nos vécus.
Des récits sur nos vécus, mais sans notre point de vue..
Récemment, on a appris qu’il y aurait une adaptation cinématographique de la BD « Les petites victoires » d’Yvon Roy, où il raconte son “combat” contre l’autisme de son fils.. Le problème ? Sa vision de l’autisme, du handicap, ainsi que ses méthodes pour « faire sortir son fils de l’autisme », tout cela est problématique et potentiellement dangereux, pire, certains comportements sont abusifs. Sur Twitter, un hashtag #BOYCOTTlespetitesvictoires à été lancé, plusieurs personnes autistes racontent leurs ressentis vis-à-viis de la BD, ainsi que leurs vécus et souvenirs parfois traumatiques de la période ou on voulait les « normaliser ».
La multitude de récits n’ayant que le point de vue des allistes (personnes non autistes) est aussi dommageable pour les parents. Il n’y a pas longtemps, les experts expliquaient qu’on étaient des coquilles vides enfermées dans des bulles… Alors que les personnes autistes s’expriment sur leur fonctionnement, et militent depuis longtemps. Des informations erronées sur les fonctionnements autistiques et des fantasmes de personnes allistes sur nos envies et besoin peuvent être publiés, sans que nous puissions nous faire entendre, faute de visibilité et de moyens. Les réseaux sociaux restent un bon outil pour rassembler les avis et se faire entendre, comme lors de l’appel au boycott par les personnes autistes du livre « To Siri with love » de Judith Newman pour ses idées validistes.
– Les câlins et contacts forcés
J’ai fait une petite BD pour expliquer ce problème. Du point de vue de l’auteur, la vie sans câlins est insupportable, il force donc son fils à en faire et les lecteurs peuvent s’émouvoir devant ce que l’auteur appelle une petite victoire. Les personnes qui ne connaissent pas l’autisme, ni l’hypersensibilité sensorielle, ou la difficulté de gérer ses émotions, ne savent pas qu’un câlin ou un simple contact physique peut être très douloureux. Sans ces données, ils ne verront que la victoire, et pas la potentielle souffrance. Alors que les personnes autistes s’identifient plus à l’enfant, certains ont vu remonter de vieux souvenirs désagréables (voir traumatiques) sur les contacts forcés.
Voilà le passage en question, et les interviews de l’auteur. Ici c’est un câlin après une « crise », alors que l’enfant n’est pas bien et qu’il refuse clairement le contact.
Nous ne savons pas si il est apaisé, ou s’il accepte par dépit, ou pire si cela aggrave son état de détresse (l’enfant qui mollit doucement et la crise qui s’éteint immédiatement ne sont pas forcément de bons signes). L’enfant n’étant pas forcément en mesure de s’exprimer, on ne sait pas : il faut savoir que même pour un adulte, même avec la capacité de communiquer, l’expression des sentiments reste très compliquée…
Son fils ayant 13 ans au moment de l’écriture du livre, on peut se douter qu’il est courant de ces problématiques d’hypersensibilité et d’expression des sentiments, cela ne l’empêche pas pour autant de les conseiller à des parents d’enfants autistes.
Il me semble important de rappeler, qu’autiste ou pas, il est aussi question de consentement. A cause de certaines éducations, les personnes autistes ont tendance à accepter d’être mal à l’aise, à prendre sur elleux-mêmes pour suivre des conventions sociales, pour faire plaisir aux autres, ou par “amour”. Notre bien-être et notre santé physique et mentale passe bien à la trappe car subir en silence, c’est aussi pour avoir la paix. Cela conditionne à accepter les pires abus.
Par ailleurs, les personnes autistes ne détestent pas forcément le contact, mais celui-ci doit être consenti et annoncé, et parfois même préparé (pour ceux qui n’aiment pas les frôlements, certaines matières, ou les mains humides et moites brrrr).
-Les routines et le besoin de sécurité
Un autre exemple très parlant est lié aux besoins de routines des enfants et adultes autistes. Le monde est chaotique, ce sont beaucoup d’informations, de sens sollicités et d’émotions que notre cerveau doit traiter, comprendre et gérer. Les personnes autistes peuvent être vite submergées, c’est pour cela qu’il est indispensable d’avoir un espace sécurisé, contrôlé, et rassurant, les repères sont très importants. Si l’environnement est changeant ou si les repères sont bousculés, c’est la panique, la frustration et le désespoir, c’est le monde qui s’écroule sous nos pieds. Cela est embêtant et nous apprenons progressivement à nous faire au changement (avec le temps et parfois l’aide externe, en planifiant, visualisant, quand on nous explique clairement ou qu’on nous donne des solutions alternatives, et aussi en étant accompagné-e-s). Chacun gère selon ses capacités et selon les outils dont il dispose pour gérer son stress.
Le problème, c’est que le père génère lui même le chaos dans un environnement qui se veut sécurisant et stable ! Qui irait faire ça à un enfant alliste, mais là un enfant autiste dont on connaît le besoin de routine ! Le père sait que ce n’est pas recommandé mais il veut habituer son fils de force. C’est soit complètement inutile, car juste déstabilisant, et au pire complètement usant et frustrant, pouvant déstabiliser sa santé physique et mental avec l’accumulation d’anxiété, la peur de voir tout changer brusquement, pas d’endroit où se reposer mentalement, ca peut provoquer plus d’effondrement autistiques. Alors qu’il n’y a pas besoin de créer le chaos, le quotidien s’en charge déjà, au contraire le rôle des parents est de fournir un environnement stable et sécurisé et de fournir des outils pour s’adapter aux changement (pas de créer des changements arbitraires !)
-regarder dans les yeux
Dernier exemple, le fait de regarder dans les yeux. Encore la même méthode : “Mon fils ne fait pas ça ? Ok, je vais le forcer. Avec une méthode proche du chantage, s’il regarde (agit “bien”) je reste près de lui, et s’il refuse je m’éloigne… en durcissant les règles au fur et à mesure.” Encore une fois, c’est un sujet abordé de long en large dans les communautés autistiques, mais ce père ne se demande pas « Pourquoi mon enfant ne regarde pas dans les yeux ? » mais « Comment faire pour qu’il change ? ». Agissant comme si les actes des personnes autistes n’avaient aucun sens, alors que si : il y a plusieurs causes, une difficulté à lire les émotions, à se concentrer sur l’écoute (car on écoute avec les oreilles, pas les yeux, et certaines personnes autistes ne peuvent mobiliser qu’un seul sens à la fois !), cela peut être déstabilisant, ou douloureux également de plonger dans le regard de quelqu’un. Sa méthode est potentiellement gênante, voir contre-productive, et culpabilisante car cela apprend l’enfant à faire semblant sans vraiment lui expliquer pourquoi (voir en lui faisant sentir qu’il agit mal), et cela peut nuire à l’écoute et à la compréhension. Cela peut être très fatiguant aussi car cela mobilise beaucoup d’énergie. Bref la liste est longue, regarder dans les yeux devrait être clairement expliqué, ce n’est pas utile à l’écoute, c’est une convention sociale, la personne autiste doit pouvoir avoir le choix de le faire selon ses capacités et son envie de s’intégrer socialement et de survivre dans certains environnements hostiles, sans avoir à se sentir obligée ou défectueuse si elle ne le fait pas!
-des récits émouvants, peu remis en question
Il y a d’autres problèmes avec les récits de parents d’enfants autistes, c’est que si ces derniers sont potentiellement dangereux, les gens ne le verront pas ! L’autisme étant peu connu, des personnes non initiées ne verraient pas les potentiels dangers et abus, au contraire, tout le monde verra une histoire touchante à travers les yeux du père et peut s’identifier à la difficulté d’élever un enfant, et à la peur d’avoir un enfant autiste. Les critiques de cette BD sont très élogieuses, personnes ne va questionner le bien-être de l’enfant, puisque « sortir de l’autisme » est perçu comme une bonne chose sans comprendre ce que ça implique comme souffrance pour l’enfant.
Le rejet du handicap et de l’autisme, une violence inouïe pour l’enfant et le futur adulte.
Bonnes intentions = bonne actions? Est-ce que ca annule l’abus??
Yvon Roy ne s’en cache pas, il veut d’un enfant le plus normal possible et le moins handicapé, il veut combattre l’autisme, c’est cela qui rendra son enfant heureux selon lui. Mais l’autisme n’est pas une maladie et on n’en guérit pas ! C’est une différence neurologique, on naît autiste et on meurt autiste. Le principe de la guérison est déjà d’une grande violence pour l’enfant en situation de handicap, au lieu de s’adapter à lui on lui dit qu’il n’est pas assez bien, qu’il doit être réparé et qu’il doit s’adapter au monde, sinon il n’aura pas de “vie normale” et personne ne l’aimera vraiment… Le principe n’est pas nouveau, des enfants gauchers qu’on essayait de transformer en droitiers, à l’interdiction de la langue des signes en France jusqu’à 1977 (!!!), la société validiste a toujours voulu que les personnes handicapées s’alignent sur la norme, même si c’est douloureux ou impossible.
Car c’est impossible, on efface jamais l’autisme. Oui l’enfant grandit, apprend, selon ses capacités, son éducation et son environnement (entre autres). Il pourra peut être mieux gérer les imprévus, les sentiments ou la communication mais son fonctionnement sera toujours profondément et instinctivement autistique, et il n’y a aucun mal à cela ! Ces « petits » sacrifices et « petites » violences qui sont imposés aux enfants sous prétexte que cela vaut le coup, que cela les aidera… NON vouloir rendre l’enfant « normal », cela ne l’aide pas mais lui fait du mal ! Peu importe si c’est fait avec amour, un coup reste un coup, et une violence reste une violence. Tout cela incite à créer une façade pour avoir la paix et la sécurité, un système de camouflage qui mobilise beaucoup d’énergie et est difficile à maintenir. Cela détruit l’estime de l’enfant qui pense qu’il ne vaut rien avec son handicap, et le futur de l’adulte qui n’aura aucune confiance et maintiendra le masque jusqu’au prochain burn out/épisode dépressif. Traumatiser un enfant pour qu’il soit moins handicapé c’est nier une situation qui ne partira pas et qui fera bien plus de dégâts plus tard. (cf encore une fois la dépression, les traumatismes)
Ce qui est flagrant dans les critiques et retour de parents, c’est que les bonnes intentions du père et l’amour qu’il porte à son enfant semble faire disparaître tout questionnement quant à son comportement dangereux et hostile. Si on frappe quelqu’un quelqu’un sans faire exprès est-ce que l’intention annule la douleur et la blessure ? Si les intentions sont bonnes on ferme les yeux et on ne dit rien ? Les réponses devrait être évidente : non ! Et pourtant… Il n’y a pas de volonté de nuire personnellement à l’auteur, il s’agit de dénoncer un comportement qui est potentiellement dangereux et qui pourrait être reproduit par ignorance et “amour » par de nombreux parents. Le bien être des enfants vaut plus que l’ego des parents. De plus, les quelques exemples peuvent sembler anecdotiques, mais c’est surtout la vision du handicap et la fonction informative de la bd qui pose problème. Si les parents se mettent en tête qu’on peut « soigner l’autisme » avec des efforts et de l’amour et en dépassant les limites des enfants, ce sont les enfants autistes qui en souffriront.
Bien vivre avec son handicap
Il faut faire la distinction entre “apporter une aide adaptée selon les difficultés de la personne” et “supprimer tout signe d’autisme”, car le second fait vraiment du mal, c’est le rejet de la personne. C’est vouloir la rendre “normale” au lieu de l’aider à affronter les difficultés.
Ce qui est énervant, c’est que selon l’auteur, il ne faut pas bien vivre son handicap mais le “surmonter” !? Comme si on se complaisait dans le handicap, qu’on adorait se prendre la violence des personnes valides et la société non adaptée, et qu’il suffirait d’un petit effort ? Là pour le coup il nous explique que c’est aux parents de faire l’effort et le monde l’acclame pour ça, car il y met tellement d’énergie et d’amour que c’est forcément une bonne chose, non ? En plus il y a des résultat et son fils a un handicap qui est de plus en plus invisible (victoire ?).
Certes beaucoup de personnes autistes et en situation de handicap veulent être « normales », mais ce que cache ce souhait c’est surtout l’envie de ne plus être rejeté, ni violenté, ni discriminé etc. Le validisme qu’on aura intériorisé y sera pour beaucoup, en entendant et en pensant qu’on ne vaut rien, on se dit que sans le handicap on serait une meilleure personne. Mais en réalité, la personne autiste ou handicapée n’est pas responsable de la violence qu’elle subit, les seules responsables sont les agresseurs qui commettent ces actes envers les personnes différentes d’elles.
Mais c’est sûr que c’est plus facile d’individualiser le problème avec une injonction aux personnes marginalisées que de changer la société qui banalise les violences et le rejet. Parents, ne donnez pas à vos enfants l’impression qu’ils sont cassés, incomplets, et mauvais ! Aidez les à vivre AVEC leur handicap, en paix avec eux même et avec leurs corps. Aidez les à surmonter les difficultés, et donnez leur les outils pour affronter le monde. Vouloir « endurcir » cel ne fonctionne pas, c’est en expliquant les choses, en apprenant avec ellui ses capacités et ses limites, en lui fournissant de l’aide et des outils adaptés, en l’écoutant, en lui laissant le temps d’apprendre et l’espace pour s’affirmer, qu’on l’aide à affronter le monde extérieur.
Maintenez un environnement sécurisant et de confiance (le moins de chaos possible, et pas de punition quand sa souffrance et son autisme se manifeste). C’est super important de bien vivre avec son handicap ! Cela ne sert à rien de faire semblant des années et de se trouver démuni quand le camouflage ne fonctionne plus, tout en n’ayant aucune confiance en son “vrai” soi. N’oubliez pas que le regard que vous portez sur votre enfant a beaucoup d’impact dans sa construction.
Surtout, renseignez vous, éduquez vous! Il y a des courants différents, nous ne sommes pas tous d’accord sur l’autisme ou la neurodiversité, mais ne privez pas votre enfant des connaissances des autres personnes autistes ou des spécialistes reconnus.
Pour suivre les échanges sur le sujet sur twitter, je vous renvoie vers le hashtag #boycottlespetitesvictoires avec beaucoup de témoignages de personnes autistes
Comme beaucoup de parents, un peu désemparés et pas bien ou trop surs d’eux je lis, je m’informe, je me renseigne. Je n’ai pas lu cette BD là, tant mieux car de ce que j’en vois, c’est moche. Mais effectivement, je lis des témoignages de parents, de professionnels… et pas trop de personnes qui vivent l’autisme de l’intérieur. Lorsque j’en trouve enfin, je suis souvent surprise: cela remet tout en question et ce n’est que plus d’incertitudes, parce que si parfois c’est approchant, ce n’est pas pour autant le ressenti de mon marmot à moi.
En fait le truc, quand on est parent d’un enfant autiste, en tout cas mon truc, c’est que je ne sais pas. Je ressens, parfois un peu, parfois beaucoup, mais je ne sais pas comment interpréter. Et j’ai l’impression que mon marmot bin c’est pareil. Moi pour lui, lui pour le monde. Le seul truc dont je suis certaine c’est que je ne sais pas. Sauf que mon job c’est quand même de l’aider à comprendre ce monde là. Enfin je crois, ou pas, même ça au final je n’en suis pas sure. Parce qu’à vouloir lui faire comprendre, j’ai l’impression de l’obliger à changer lui, et d’obliger le monde à changer. Et ni l’un ni l’autre n’en a l’envie. Et en vrai, si j’aimerai voir le monde changer, je ne suis pas certaine par contre d’avoir envie de voir mon marmot changer. Parce que lorsque je l’observe, je crois que je le vois, vraiment, sans comprendre, mais je le vois. Mais quand j’essaie de lui apprendre, je n’ai plus l’impression de le voir, comme si dans tout ces apprentissages qu’il lui faudrait acquérir, il n’y avait plus de place pour lui. Or c’est tout l’inverse que je lui souhaite. Ce que je vois de lui est peut être biaisé par l’amour maternel, mais je l’ai toujours trouvé génial mon enfant. Touchant, drôle, fin et ô combien intéressant et résilient. C’est tout l’inverse que me renvoie le monde. Mon marmot dans tout cela est devenu caméléon, il se camoufle avec ses petites défenses d’ado. Avec ses masques et ses révoltes. Et ça m’horripile de voir combien le monde ne le voit pas. Et ça me révolte. Alors j’essaie de lui dire à ce monde, et bien sur là encore je me plante, comme les autres parents parce que ce n’est pas moi qui peut dire tout cela. Et pourtant, je ne peux m’imaginer ne pas défendre mon enfant. Inconcevable. J’espère qu’un jour il saura me pardonner d’avoir parlé pour lui, ou simplement qu’il saura dépasser les carcans dans lesquels je l’aurai fourré, voulant bien faire et faisant mal, sans aucun doute.
Bref, tout cela pour dire que oui, parents, on se trompe et on l’ouvre trop (en tout cas perso, j’ai une trop grande bouche), et on n’est pas excusable de nos erreurs. Et re-bref, trouver vos témoignages et les lire, ça aide. ça ne fait pas tout mais ça aide, alors merci.
Je n’ai pas les mots…. ça donne mal au ventre
C’est atroce de diffuser une violence pareille qu’on choisit sciemment d’infliger à son propre enfant… je suis horrifiée